Aller au contenu

 

Le féminisme XYZ

Micheline Dumont
Micheline Dumont

5 mars 2009

Christine Beaulne-Rousseau

Micheline Dumont, professeure émérite de l'Université de Sherbrooke, a consacré sa carrière à l'histoire des femmes et à la compréhension des questions reliées aux différences sexuelles. Elle est convaincue qu'une meilleure connaissance de l'histoire des femmes au Québec prouvera à tous et chacun qu'il est nécessaire, encore aujourd'hui, de garder la pensée féministe bien vivante. Plusieurs dizaines de personnes ont assisté à la conférence qu'elle livrait le 17 février au Carrefour de l'information.

Micheline Dumont a publié un livre l'an dernier, Le féminisme québécois raconté à Camille, adressé à sa petite-fille. «J'ai voulu m'adresser à Camille parce que je trouve essentiel que les jeunes femmes et les adolescentes sachent que la situation qu'elles vivent est le résultat non pas du progrès de la vie moderne, mais du travail et des revendications des féministes qui ont eu la clairvoyance et le courage de les formuler et de les exiger en dépit des obstacles», explique-t-elle.

L'historienne a également voulu vulgariser ses connaissances afin de rejoindre un plus grand nombre de personnes, raison pour laquelle elle a rédigé son ouvrage avec l'aide de sa petite-fille de 16 ans : «J'ai voulu aussi m'adresser à Camille parce que je voulais écrire un livre facile à lire, dit-elle. Je me suis dit que si une adolescente peut lire un tel livre, le nombre de personnes rejointes sera d'autant plus grand.»

Une lutte constante

Le mouvement féministe au Canada a émergé vers 1893 avec la création du Conseil national des femmes du Canada. L'organisation avait des conseils locaux dans plusieurs villes du pays. En 1907, les Québécoises sentaient le besoin de fonder leur propre association en mettant sur pied la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. C'est à ce moment que les féministes ont réalisé que le gouvernement ne les écoutait pas et que sans le droit de vote, elles ne pourraient pas réaliser leurs objectifs.

Les années 1910 sont marquées par l'action des suffragettes qui se voient obligées d'enfreindre les lois pour se faire entendre. À la suite de ces événements, plusieurs femmes sont emprisonnées. Le droit de vote aux femmes a été accordé par quelques provinces à partir de 1916, et en 1918 aux élections fédérales. Le droit de vote aux élections québécoises n'est consenti qu'en 1940.

Dans les années 60, les féministes du Canada demandent au gouvernement une commission royale d'enquête sur la situation de la femme au pays. La commission Bird publiera un rapport en 1971, transformant entre autres les conditions d'admissibilité à plusieurs métiers traditionnellement masculins.

Durant cette période, des groupes radicaux apparaissent au Québec : le Front de libération des femmes du Québec et le Centre des femmes de Montréal. Ces groupes se disaient radicaux non pas parce qu'ils étaient extrémistes, mais plutôt parce qu'ils analysaient les racines des problèmes des femmes.

Féminité ou féminisme?

Aujourd'hui, la pensée féministe est encore présente et nécessaire, mais ses enjeux sont différents. Et reliés, en majorité, au corps de la femme. La pornographie, le travail du sexe, le voile islamique ou l'hypersexualisation de la mode sont autant de défis qui alimentent de nos jours le bien-fondé du féminisme, estime Micheline Dumont.

Elle croit d'ailleurs toujours à l'importance, en 2009, d'informer les gens sur ce mouvement politique : «Le féminisme est un phénomène historique important, responsable d'une révolution colossale dans l'organisation sociale, et cette révolution a été faite sans verser une seule goutte de sang. C'est un mouvement politique. Pourtant, les livres d'histoire continuent de s'écrire sans même mentionner l'existence de ce mouvement politique.»

La méconnaissance de la population des luttes du passé laisse croire que les victoires des femmes pourraient tomber dans l'oubli. L'historienne ne craint-elle pas un retour en arrière? «Les femmes font l'histoire, dit-elle. C'est une vérité importante à répéter sans cesse, parce que personne ne semble l'entendre. Par ailleurs, les victoires remportées par les féministes sont toujours fragiles et elles sont continuellement contestées.» Elle se désole aussi de voir certaines femmes se dire aujourd'hui antiféministes.

Micheline Dumont ajoute que contrairement à certaines idées reçues, les femmes font face à des enjeux actuels nombreux et importants : «Les objectifs de la révolution féministe sont loin d'être atteints : l'équité salariale, les nombreuses manifestations de la violence contre les femmes, la difficulté des femmes à investir les lieux de pouvoir, les femmes qui acceptent de se plier au regard masculin sur le corps des femmes, l'influence de la pornographie sur l'initiation sexuelle des adolescents.»

Il est donc important, selon elle, que la nouvelle génération intervienne, qu'elle soit consciente du travail effectué par les féministes et qu'elle l'appréhende en délaissant ses perceptions erronées. Il faut aussi que les hommes soient partie prenante des actions pour donner une meilleure place aux femmes, conclut l'historienne.